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mercredi 18 mai 2011

Tunisie : l’appareil sécuritaire est-il une des clefs de la sortie de crise ?

Par : Heythem Slatnia
Source :

Par l’entretien d’un climat d’insécurité, le système policier tunisien ne fait que manifester son refus d’être sacrifié. Il est nécessaire d’engager des négociations avec lui si l’on veut éviter le chaos et permettre un retour rapide « à la normale ». 

Quand le général De Gaulle annonça que la France allait quitter l’Algérie, il subit une tentative d’assassinat et une tentative de putsch par des généraux. Quand Boris Eltsine fit des réformes en Russie en limitant drastiquement le pouvoir des militaires, il fit face à un coup d’état militaire qui dura quelques jours. Dans ces deux exemples, le coup de force des militaires était motivé par la même raison, le refus de la remise en question de l’ordre établi associé à la perte d’intérêts financiers et de pouvoir.
En Tunisie, l’appareil sécuritaire est tenu non pas par l’armée mais par la police (ordinaire, politique, sécurité présidentielle…). Les spasmes sécuritaires auxquels fait face la Tunisie sont du même ordre. Dans la nouvelle Tunisie, ce système policier risque de perdre beaucoup. Par l’entretien d’un climat d’insécurité, il ne fait que manifester son refus d’être sacrifié dans cette transition. Il frappe à la porte afin que des négociations s’engagent avec lui. Il est nécessaire d’ouvrir cette porte si l’on veut éviter le chaos et permettre un retour rapide « à la normale ».


Tunisie, l’appareil sécuritaire est-il une des clefs de la sortie de crise ?

Tunisie, l’appareil sécuritaire est-il une des clefs de la sortie de crise ? Categories // Société

Par l’entretien d’un climat d’insécurité, le système policier tunisien ne fait que manifester son refus d’être sacrifié. Il est nécessaire d’engager des négociations avec lui si l’on veut éviter le chaos et permettre un retour rapide « à la normale ».

Tunisie, l’appareil sécuritaire est-il une des clefs de la sortie de crise ?
Auteur JDEMPLOI
Quand le général De Gaulle annonça que la France allait quitter l’Algérie, il subit une tentative d’assassinat et une tentative de putsch par des généraux. Quand Boris Eltsine fit des réformes en Russie en limitant drastiquement le pouvoir des militaires, il fit face à un coup d’état militaire qui dura quelques jours. Dans ces deux exemples, le coup de force des militaires était motivé par la même raison, le refus de la remise en question de l’ordre établi associé à la perte d’intérêts financiers et de pouvoir.
En Tunisie, l’appareil sécuritaire est tenu non pas par l’armée mais par la police (ordinaire, politique, sécurité présidentielle…). Les spasmes sécuritaires auxquels fait face la Tunisie sont du même ordre. Dans la nouvelle Tunisie, ce système policier risque de perdre beaucoup. Par l’entretien d’un climat d’insécurité, il ne fait que manifester son refus d’être sacrifié dans cette transition. Il frappe à la porte afin que des négociations s’engagent avec lui. Il est nécessaire d’ouvrir cette porte si l’on veut éviter le chaos et permettre un retour rapide « à la normale ».

Qui sont ceux qui sont derrière ces troubles et pourquoi pourquoi font-ils cela ?

Avant de répondre à cette question, il faut faire un effort de mémoire car la joie ayant accompagné la Révolution tunisienne a fait quelque peu oublier une réalité tunisienne aux racines profondes. Oui aux racines profondes car elles ont eu le temps de se développer pendant 23 ans ! Pendant 23 ans, l’appareil sécuritaire s’est développé au point tel qu’il y a en, Tunisie, ce tout petit pays, 1 policier pour 100 000 habitants soit par rapport à d’autres pays 10 fois plus de policiers par habitant.

Ce système sécuritaire s’est infiltré de partout au point tel qu’il contrôle dans les faits la Tunisie. Si l’on n’en était pas convaincu, les exemples récents le démontrent. Qui peut croire par exemple que les  prisons deviennent, comme ça par enchantement, du jour au lendemain des passoires ? Qui peut croire à la manifestation spontanée d’excités salafistes en plein cœur de Tunis avec des drapeaux neufs inconnus en Tunisie se permettent de scander des paroles  jamais entendues avant en Tunisie devant la synagogue historique de Tunis sous les yeux de cordons de police impassibles – alors qu’on sait la tremblote que prend n’importe quel islamiste devant un policier en Tunisie !!.

Il y a quelques mois, personne en Tunisie ne faisait le malin avec la Police. Tout tunisien sain de corps et d’esprit sait ce qu’il risquait en rentrant pour des mauvaises raisons dans un commissariat. L’entrée était permise mais la sortie pas assurée du tout. Chaque tunisien se méfiait même des membres de sa propre famille et évitait les sujets concernant la politique, la famille présidentielle, la police. Les murs en Tunisie avaient des oreilles disait-on. La criminalité était basse. Avec un policier à chaque coin de rue, chaque croisement, dans chaque famille, il ne restait pas beaucoup d’espace pour les délinquants.

Mais aujourd’hui il semble que les choses aient changé. La délinquance prospère. Si ce phénomène accompagne toute période révolutionnaire, certains événements semblent malgré tout douteux et trop bien organisé pour qu’ils soient le fait de simples délinquants. C’est à croire que certains aient entre les mains le robinet de l’insécurité qu’ils ferment et ouvrent au gré de leur envie ou plutôt au gré des messages qu’ils souhaitent envoyer. Des messages du type « soit nous jouons dans le nouveau jeu tunisien, soit nous jouerons contre la Tunisie ».

Il n’y a aucun doute que ce sont ceux qui maîtrisent la sécurité qui sont les mêmes qui détiennent c ce robinet de l’insécurité, donc l’appareil sécuritaire.

Pourquoi de tels actes ?

La réponse est évidente et peut se comprendre à deux niveaux.

Le premier est motivé par la volonté d’échapper à la justice. Si le calme revient en Tunisie, l’une des premières volontés du peuple sera de juger le système policier de l’ancien régime ainsi que ses acteurs principaux (cadres, hauts fonctionnaires…). Cette étape est indispensable pour faire le deuil de l’ancienne période et tourner définitivement la page. L’appareil sécuritaire sait ce danger et ne veut pas être jugé sur ses errements passés. Il n’a donc aucun intérêt à un retour au calme car, dans cette situation, il aurait beaucoup à perdre.

Le second est directement dû aux avantages financiers et en nature. En effet, pendant 23 ans, l’ancien régime a passé un contrat tacite avec son appareil sécuritaire. L’appareil sécuritaire devait maintenir la pression sur le peuple et empêcher toute volonté démocratique (presse, syndicat, partis politique) et en plus de sa rémunération officielle, le pouvoir fermait les yeux sur le racket du petit peuple par ce système policier (personnes ordinaires, commerçants, taxis) et sur ses investissements dans  le monde des affaires .Combien de policiers ont des revenus plusieurs fois supérieurs au modeste salaire que leur verse l’Etat ? D’où vient cet argent ? L’appareil sécuritaire sait qu’il n’aura plus les mêmes passes droits si la loi s’appliquait. Il y aurait donc une baisse considérable de ses revenus.

 

Peut-on supprimer ce mal ?

Voilà la véritable question et la réponse est hélas non car ceux dont le métier était d’agir en secret pendant 23 ans pour espionner et mater le peuple, déstabiliser les opposants à l’ancien régime, agissent aujourd’hui encore dans le plus grand secret pour déstabiliser la Tunisie et maintenir l’insécurité. Les réseaux qu’ils ont développés, les moyens qu’ils possèdent le leur permettent. Surtout ils agissent officieusement et dans l’ombre. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont expérimentés pour cela. Ce mal n’est donc pas visible. Si c’était le cas, le problème aurait été réglé rapidement.

Eradiquer ce mal sera difficile est long. Le problème est que la Tunisie n’a pas le temps d’attendre. L’asphyxie économique guette.

Une solution radicale, pour quel résultat ?

Il y a bien une solution radicale mais le résultat est aléatoire. Les Tunisiens peuvent bien sûr limoger et remplacer tous les cadres de l’appareil sécuritaire ainsi que fermer les services litigieux. Cela est possible et donnerait en plus de l’emploi à beaucoup de jeunes policiers formés à respecter la loi. Deux obstacles s’y opposent toutefois.

Le premier est qu’il faudrait former ces jeunes policiers certes motivées mais peu expérimentées et la période actuelle en Tunisie exige une expérience sécuritaire que les vieux cadres de Police possèdent eux paradoxalement.

Le deuxième obstacle est que ce serait une extraordinaire erreur stratégique qui serait faite. Les Américains l’ont bien compris pendant la guerre du Golfe. Ils ont licencié du jour au lendemain 40 000 soldats de l’armée de Sadam Hussein en pensant les remplacer par d’autres soldats formés selon leur envie. Ce fut une catastrophe pour eux! Ces 40 000 soldats sont passés du jour au lendemain du statut de soldats à celui de djihadistes contre l’armée américaine au point tel que les Américains ont réembauché quelques mois plus tard ces soldats. Le dicton est connu « ceux qui ne jouent pas avec vous, joueront contre vous » !  Dès qu’ils seront licenciés, ces éléments de l’appareil sécuritaire tunisien se vengeront en engageant cette fois-ci une guerre totale qui condamnera définitivement la Tunisie. Cette solution, même si elle est attrayante, ferait plus de mal que de bien à la Tunisie.

Ouvrir les discussions avec la société civile et politique

Une décision courageuse pour l’intérêt supérieur de la Tunisie doit être prise. Elle consiste en l’ouverture de discussions avec l’appareil sécuritaire. Mais, attention,  elles ne doivent pas s’ouvrir seulement entre le gouvernement provisoire et cet appareil sécuritaire. Ces discussions doivent associer les membres influents de la société civile (avocats, journalistes, partis politiques, syndicats) – un peu comme ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Elles doivent être discrètes mais pas secrètes et la population doit en être informée quant à ses étapes et conclusions. Réunir toutes les parties de la société civile et politique donnera une légitimité aux yeux de la population aux accords d’amnistie qui seront pris.


Un acte courageux dans l'intérêt de la Tunisie

On peut comprendre que certains soient réticents à envisager un accord de ce type. Il y a eu tant de souffrances, tant d’injustice… et nul ne peut renoncer à son droit à la justice ! C’est vrai et le doute m’assaille même en écrivant ces lignes mais j’en appelle à la conscience de ceux qui aiment la Tunisie et leur demande de se souvenir de l’exemple de l’Afrique du Sud ; ce pays a tenu  debout car il y a eu une réconciliation nationale. Mandela, qui passa plus de 30 ans en prison dans des conditions horribles et dont le peuple fut massacré, pardonna à ses bourreaux blancs ! . Pourquoi l’a t-il fait ? Même s’il n’en avait pas envie, il a sans doute pris en compte l’intérêt supérieur de son pays.
Les Tunisiens sont-ils capables d’une telle démarche aujourd’hui ?
Un acte courageux similaire est nécessaire dans l’intérêt de la Tunisie. Le sacrifice qui est fait aujourd’hui en renonçant à juger certains éléments de l’appareil sécuritaire est un investissement pour la Tunisie. Perdre aujourd’hui un peu pour gagner demain beaucoup.

Mais ce sacrifice n’est pas un chèque en blanc. Loin de là. Les cadres de l’appareil sécuritaire doivent s’engager à cesser toute campagne de déstabilisation ainsi que de participer à la réforme du corps policier. Un organe de contrôle indépendant de la police pourrait se charger de cette mission.

Chaque minute compte

Le climat sécuritaire actuel a des incidences économiques en cascades et difficiles à rattraper. Si la sécurité ne revient pas, les touristes ne reviendront pas, les entreprises ne reviendront pas, le moral et la confiance des tunisiens ne reviendront pas. Comment payer les salaires des enseignants, les subventions de produits, payer les produits d’importations. Comment ?

Si les caisses de l’Etat tunisien se vident, il n’y aura pas de gagnants. Ceux qui, parmi l’élite sécuritaire, croient que leurs plans marcheront doivent méditer les exemples des révolutions françaises et anglaises. Après avoir contenu, sans trop de dégâts, la première révolution pendant quelques temps, les élites de l’époque ont fait face à une deuxième révolution populaire sanglante. Des milliers de notables parmi ceux qui n’avaient pas fuit furent exécutés et leur biens confisqués. Les élites tunisiennes, qui jusque là ont été plutôt préservées, veulent elles avoir un tel scénario en Tunisie?

Par ailleurs, il a fallu plus de 100 ans et plusieurs guerres civiles fratricides pour que ces pays se relèvent politiquement et économiquement. Des exemples à méditer et qui doivent, à nous qui aimons la Tunisie, nous inspirer pour nous réconcilier et avancer. La Tunisie est à la croisée des chemins avec, de surcroît, à ses portes un contexte géopolitique compliqué. Le climat d’insécurité doit cesser. Des discussions dans ce sens entre tous les acteurs doivent s’engager sans délais.
Source Les Echos

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