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lundi 16 mai 2011

Tunisie : L'Etat d'urgene ; une arme de dictature à surveiller ...


A quoi joue Béji Caid Essebsi? C’est la question qui agite les esprits depuis les dernières semaines. Après sa première allocution qui avait séduit la majorité des Tunisiens, les conférences de presse du Premier ministre ont posé un voile opaque sur ce gouvernement provisoire. La «Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et la transition démocratique», censée mettre en place les élections de l’assemblée constituante prévue pour le 24 juillet, est dans un bras de fer avec le Premier ministre concernant plusieurs articles de la loi électorale. Un différend qui cache, en profondeur, un combat de légitimité, chacun s’érigeant en défenseur de la démocratie et en protecteur ultime des acquis de la Révolution.

Un gouvernement toujours controversé
Pourtant, ce gouvernement aurait pu, par des actes symboliques, montrer sa volonté de rompre définitivement avec le régime passé. Mais le fait est que l’on continue à réclamer au jour le jour notre dû. Les actions en justice contre les anciens du régime sont rares et obscures. Plusieurs anciens ministres et hauts cadres du RCD ont été entendus par des juges d’instruction durant les dernières semaines mais aucune poursuite concrète n’a été entamée. Le procès de Imed Trabelsi, symbole de la corruption qui a sévi sous Ben Ali, aurait pu constituer une action exemplaire et calmer le sentiment d’injustice. Mais ce procès n’a fait qu’exacerber la révolte populaire, Imed arrivant fringant et costumé, esquissant un rictus méprisant face à la foule qui l’insultait. Inculpé pour consommation de stupéfiants, il écope de deux années fermes de prison en attendant l’instruction des autres dossiers. Un chef d’accusation très mince lorsqu’on connaît son implication dans d’innombrables affaires douteuses. L’Etat ne semble pas vouloir reconnaître les préjudices qu’il a subi durant toutes ces années sous l’emprise du RCD et des Trabelsi. Il appelle ceux qui ont été lésés à porter plainte par eux-mêmes. Seul le rétablissement de la situation sécuritaire demeure la préoccupation majeure du gouvernement. Ce qu’il prétend ignorer c’est que la rue ne fait que répondre au manque de transparence du gouvernement et à son immobilisme face à des points essentiels sans lesquels aucune démocratie ne peut fleurir.

Les révélations de Rajhi provoquent une onde de choc

Tout cela a contribué à la montée d’un ras-le-bol qui a atteint son apogée le soir de la publication d’une série de vidéos où l’ancien ministre de l’Intérieur, Farhat Rajhi, révèle ses appréhensions face à ce gouvernement, notamment la présence d’un lobby politique mené par Kamel Eltaief qui agirait dans l’ombre et commanderait la scène politique. Il annonce surtout la prise de pouvoir de l’armée tunisienne en cas de victoire du parti islamiste Ennahdha. Par ses révélations, Farhat Rajhi semble avoir ouvert la boîte de Pandore. Les vidéos ont ébranlé l’opinion publique et ont agi comme le catalyseur d’une réaction contre le Premier ministre et son gouvernement, totalement déstabilisés par cette bombe médiatique. Est-ce le début d’une seconde révolution ? Peut-être pas, mais ces accusations ont eu le mérite de réveiller de nouveau la conscience du peuple. Les Tunisiens ont compris que les charognards politiques se nourrissent des cadavres de la vigilance populaire.
Au lendemain de la diffusion de ces vidéos, le 6 mai, le point de rupture entre le gouvernement provisoire et la population tunisienne est définitivement atteint. Des centaines de manifestants réunis sur l’avenue Habib Bourguiba sont violemment réprimés par les forces de police, qui, derrière leur cagoules, poursuivent et battent les manifestants, les passants et les journalistes en toute impunité. Un scénario digne de la manifestation du 14 janvier qui avait marqué le départ précipité de Ben Ali. Les mêmes causes entraînant les mêmes conséquences, le lendemain, le 7 mai, a ressemblé à s’y méprendre au 15 Janvier 2011. Tunis brûle de nouveau et un couvre-feu est instauré en urgence sur la capitale. Encore une nuit de tirs, de sons d’hélicoptères et de rondes policières et militaires. Qui sont ces personnes qui pillent, cassent et saccagent ? Nous ne le savons pas. Le couvre-feu sonne, cette fois, comme une punition générale d’un gouvernement dépassé par un peuple insoumis.

La censure au nom de la sécurité de l’Etat

La réponse de l’armée tunisienne aux accusations de Farhat Rajhi ne s’est pas faite attendre. Le ministère de la défense ordonne l’ouverture d’une enquête et saisit le tribunal militaire afin de statuer sur les propos jugés diffamatoires de l’ex ministre de l’Intérieur, une procédure dont la rapidité laisse perplexe face à une justice habituellement lente. L’association des magistrats tunisiens annonce son désaccord envers ces poursuites et met en garde le gouvernement provisoire sur «les conséquences de l’implication de la magistrature dans des différends liés à la liberté d’expression». En parallèle, sur ordre du tribunal militaire permanent, plusieurs pages Facebook critiquant l’armée tunisienne sont censurées. Le code de justice militaire justifie ce genre de pratiques. L’état d’urgence, toujours décrété en Tunisie, peut justifier toutes les dérives possibles en matière de restriction des libertés fondamentales. Au nom de cet état d’urgence, le tribunal militaire permanent a le pouvoir d’ordonner la censure de pages. Qu’un tribunal militaire s’occupe de censurer des pages Facebook peut sembler humoristique mais pas si l’on connaît l’impact de Facebook sur l’opinion populaire tunisienne.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs Tunisiens témoignent de leur inquiétude face au pouvoir qu’acquiert l’armée et de l’immunité qu’elle s’octroie. Les mots de Farhat Rajhi sonnent comme une prophétie et beaucoup redoutent le putsch militaire. Ces inquiétudes sont également alimentées par la promotion du Général de corps d’armée et chef d’Etat-major de l’armée de terre, Rachid Ammar, en chef d’Etat-major des armées.

L’armée a jusque là exercé un rôle protecteur envers les Tunisiens. Dans les innombrables scénarios des évènements du 14 janvier, la présence du Général Rachid Ammar aurait été déterminante dans le départ du président déchu, et l’on se rappelle également que Rachid Ammar est l’homme qui a refusé de tirer sur les manifestants sur ordre de Ben Ali avant le 14 janvier. Néanmoins, après avoir érigé les militaires en héros de la Révolution, plusieurs personnes ont évoqué l’hypothèse que les snipers qui avaient sévi avant et après le 14 janvier appartiendraient en réalité au corps de l’armée tunisienne. L’armée a pris très au sérieux ces accusations graves qui ternissent l’image de celle qui demeure comme le seul rempart face à une police encore très controversée et avec laquelle les Tunisiens peinent à se réconcilier. Dans un communiqué, l’armée tunisienne met en garde la population contre toute accusation qui mettrait en cause l’intégrité de son corps. Au delà de l’élection démocratique d’une assemblée constituante, le respect de la date du 24 Juillet pour les élections doit être une priorité afin de lever l’état d’urgence, véritable arme de dictature, qui peut se perpétuer légitimement au nom de la sécurité de l’état et justifier l’atteinte aux libertés fondamentales des citoyens, comme ce fut le cas pour l’Algérie, l’Egypte et la Syrie. 
Par : Heythem Slatnia
Source :
http://tunisie.blogs.liberation.fr/blog/2011/05/letat-durgence-en-tunisie-une-arme-de-dictature-%C3%A0-surveiller.html

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